LETTRE OUVERTE AUX OLÉICULTEURS, COOPÉRATIVES OLÉICOLES
ET CHERCHEURS pour le respect des noms des olives et des oliviers
Mesdames, Messieurs,
Vous travaillez sur l’olive et l’olivier en différents secteurs : culture, production d’huile dans vos moulins privés ou coopératifs, vente d’huile et de produits à base d’olives, recherches sur la génétique, les origines de l’olivier, l’auto-fertilité, les maladies, etc. Tous, vous êtes amenés à nommer les variétés d’oliviers et leurs olives pour étiqueter vos produits, diffuser des conseils agricoles ou rédiger vos textes scientifiques. Et tous, vous commettez des erreurs, inexorablement, pour qualifier les variétés. Pourquoi ?
Parce que, Occitans d’origine, vous avez partiellement ou totalement perdu votre langue, la seule qui nomme les oliviers depuis des siècles de père en fils : l’occitan (ou langue d’oc) dans toutes ses variétés (languedocien, provençal, niçois).
Parce que, non Occitans d’origine mais amoureux des oliviers et devenus acteurs de l’oléiculture, vous n’avez, encore plus que les précédents, absolument pas conscience que les oliviers ne sont nommés qu’en langue d’oc, forcément, ces arbres ne poussant pas en terres de langue d’oïl. Ce sont donc des noms occitans que vous utilisez, qui ont été adaptés en français (et non des noms français vernaculaires), et adaptés de façon parfois catastrophique. Or toute langue a sa grammaire.
Parce que, chercheurs, peut-être encore plus que les deux catégories précédentes, vous ne vous posez même pas la question des noms que vous utilisez, diffusés sans conscience, sans connaissance, sans connaître leur sens, leur étymologie, et leur grammaire (ce qui est anti-scientifique).
Comme lexicographe (donc rédactrice de dictionnaires), et encore plus comme ethnobotaniste (de terrain et dans les livres depuis 30 ans) particulièrement spécialisée sur le lexique de la vigne et de l’olivier (en dialectes provençal et languedocien), comme locutrice de cette langue en provençal, je constate donc avec grande tristesse et consternation les entorses faites au lexique concernant les oliviers et les olives dans vos publicités ou vos textes scientifiques. Cependant, les archives sont nombreuses, les dictionnaires et les textes tout autant, pour s’apercevoir des erreurs commises dans le lexique employé actuellement et qui auraient donc dû/pu être évitées aisément, par une consultation rapide du dictionnaire de F. Mistral.
Employer un mot suppose pourtant la curiosité élémentaire de se demander quelle est sa grammaire pour l’utiliser correctement. En français, vous ne pressez pas un oranger et vous ne greffez pas une orange, n’est-ce pas ? Vous ne pelez pas un bananier mais une banane ? Vous ne crachez pas un noyau de cerisier mais de cerise ? Vous ne dites pas « une olive amer » ni « un olivier vieille » ? Aucun pépiniériste n’écrit dans sa liste d’arbres fruitiers à la vente dans son catalogue « cerisier, prune, pommier, poire, figuier, jujube », mélangeant sans distinction noms d’arbres et noms de fruits : il ferait rire tout le monde avec cette liste. Pourquoi commettez-vous donc ces équivalents lorsque vous parlez des oliviers et des olives ?
Non, « aglandau » ne saurait qualifier une olive puisque c’est du masculin : cela ne qualifie que l’olivier, lequel fait des olives aglandales, en toute logique, et comme cela se dit et s’écrit depuis des siècles en occitan (aglandau/aglandala ou en graphie mistralienne aglandau/aglandalo). Non, « salonenque » ne saurait qualifier un olivier puisque c’est du féminin. L’olivier selonenc/selounen porte l’olive selonenca/selounenco, ce qui, transposé en français, donne « un sélonenc porte de sélonenques » ou plus radicalement adapté « un salonais porte des salonaises » puisqu’il s’agit de la ville de Salon (qui se dit Selon/Seloun en occitan et non Salon/Saloun). Non, « grossane » ne peut qualifier un olivier car c’est du féminin : c’est l’olivier grossan qui fait des grossanas (ou en graphie mistralienne groussan/groussano), ce qui en français se traduit par un olivier grossan (ou plus simplement le grossan) fait des olives grossanes (ou des grossanes). Non, les listes des « variétés d’oliviers » telles qu’on les trouve dans absolument tous les textes scientifiques (dont ceux publiés dans Le retour de l’olivier, Retour sur l’olivier, Études héraultaises, 2009, où j’alerte pourtant sur ce sujet, ou l’article plus récent Faut-il réorganiser les vergers ? publié dans les Annales de la SHHNH vol. 153, année 2013) et tous les dépliants distribués par les coopératives oléicoles ne sauraient comporter, pas plus que le catalogue du pépiniériste, des noms masculins et féminins indistinctement mélangés, ce qui donne une liste totalement surréaliste pour qualifier les oliviers : bouteillan (masculin), olivière (féminin), aglandau (masculin), picholine (féminin), grossane (féminin), cailletier (masculin), etc., etc., noms que l’on retrouvera dans « variétés d’olives » !
Non, avoir perdu sa langue ou l’ignorer n’autorise pas à soutenir « mordicus » qu’aglandau est bien le nom de l’olive, parce qu’on le dit soi-même ou qu’on l’a entendu dire ou lu sur Internet ou vu écrit dans un article scientifique, en l’occurrence bien anti-scientifique sur ce point. Non, cette erreur ne peut être « une référence » : un amateur en astronomie ou en histoire, même s’il parle de ces deux matières par goût, ne peut être une référence. Il en est de même en linguistique. Ceux qui n’ont pas perdu la langue, les dictionnaires et les textes d’auteurs en langue d’oc, font tous la distinction élémentaire olivier au masculin/olive au féminin : c’est cela la référence parce que c’est le fonctionnement de la langue d’oc. Par exemple, on peut lire dans le dictionnaire de F. Mistral à l’entrée selounen, enco adj et n : « oulivo selounenco, variété d’olive, petite, allongée, (etc.) ; óulivié selounen, olivier qui porte l’olive selounenco. ». Et à l’entrée pigau, alo adj et n : « olivier qui porte l’olive pigalo ». Et à l’entrée aglandau, alo adj : « óulivié aglandau, variété d’olivier dont le fruit est en forme de gland ». On ne peut être plus clair. Même en l’absence des deux données dans un dictionnaire (car ils sont incomplets et que chaque entrée n’est pas forcément illustrée par un exemple au masculin plus un exemple au féminin), on déduit l’une de l’autre par simple bon sens et logique. On trouve pareillement des citations à profusion chez les auteurs de langue d’oc où tous les oliviers sont désignés au masculin et toutes les olives forcément au féminin : « Ah ! li bèlli vergello d’óulivo verdalo ! oh ! li bèu bouquet di couliasso ! E li boutihenco, li fachouiro, li reialo, li redounalo e li vermeialo, agachas-li, amiras coume n’en plòu… » (Baptiste Bonnet, 19/20ème), c’est-à-dire verdale, colliasse, bouteillenque, fachouire, royale, redounale, vermeillale, toutes au féminins puisque l’auteur parle d’olives et non d’oliviers.
Rappelons donc cette évidence puisqu’elle semble échapper à la profession : les variétés d’oliviers ne peuvent être nommées QUE par des noms masculins, les variétés d’olives QUE par des noms féminins, puisque l’olivier est du genre masculin et l’olive du genre féminin (en occitan comme en français). Ce qui donne sur quelques exemples limités les correspondances logiques :
Oliviers en occitan |
adaptés en français |
Olives |
adaptées en français |
Pigau/Pigal |
Pigau/Pigal |
Pigala |
Pigale |
Aglandau/Aglandal |
Aglandau/Aglandal |
Aglandala |
Aglandale |
Verdau/Verdal |
Verdau/Verdal |
Verdala |
Verdale |
Menudau/Menudal |
Ménudau/Ménudal |
Menudala |
Ménudale |
Corniau/Cornial |
Corniau/Cornial |
Corniala |
Courniale/Corniale |
Grossan |
Grossan |
Grossana |
Grossane |
Botelhan |
Bouteillan |
Botelhana |
Bouteillane |
Botinhan |
Boutignan |
Botinhana |
Boutignane |
Calhetier |
Cailletier |
Calheta |
Caillette |
Selonenc |
Sélounenc/Salonais |
Selonenca |
Sélounenque/Salonaise |
Negret |
Négret |
Negreta |
Négrette |
Roget |
Rouget |
Rogeta |
Rougette |
Berruguet |
Berruguet |
Berrugueta |
Berruguette |
Provençalet |
Provençalet |
Provençaleta |
Provençalette |
Negron |
Négron |
Negrona |
Négronne |
Calhon |
Caillon/Cailloun |
Calhona |
Caillone/Cailloune |
Marselhés |
Marseillais |
Marselhesa |
Marseillaise |
Tripard |
Tripard |
Triparda |
Triparde |
Picholin |
Picholin |
Picholina |
Pichouline/Picholine |
Luquier ou Lucal |
Lucquier |
Luca |
Lucques |
Ou en graphie mistralienne pour les olives : Pigalo, Aglandalo, Verdalo, Menudalo, Cournialo, Groussano, Boutignano, Cailleto, Selounenco, Negreto, Rougeto, Berrugueto, Prouvençaleto, Negrouno, etc.
Tous les noms de la première colonne peuvent être adjectif ou nom : on dit aussi bien l’olivier aglandau que l’aglandau, l’olivier rouget que le rouget, etc. Tous les noms de la deuxième colonne pareillement : l’olive grossane ou la grossane, l’olive triparde ou la triparde.
L’adaptation française du O occitan (prononcé [ou]) est soit O, soit OU conservé à l’identique de l’occitan (comme pour Roquette/Rouquette, la salade). On peut donc avoir Cornial ou Cournial, Sélounenc ou Sélonenc, Pichoulin(e) ou Picholin(e), Groussan(e) ou Grossan(e), etc. C’est la seule hésitation possible mais qui en aucun cas ne porte tort à aucune des deux langues ni à l’olivier. Et les oléiculteurs occitanophones ont forgé naturellement la forme masculine Lucal ou Luquier (les deux sont valables) pour désigner l’arbre à partir de l’olive Luca/Luco.
Les quelques 140 noms de variétés (avec synonymes bien sûr) que j’ai relevées ont toutes leur couple logique nom masculin de l’olivier/nom féminin de l’olive pour les désigner. À ce jour, il n’y a que deux variétés où les textes (ou les locuteurs) ne m’ont pas permis de trouver les correspondances olive/olivier : l’olive tanche (de l’occitan tancha) où je n’ai pas le symétrique pour l’arbre (la seule façon correcte de le nommer est alors « l’olivier à tanche », et non pas « tanche » tout seul, puisque tanche est féminin, Mistral restitue l’expression tancho d’aubre, tanche d’arbre (?) pour l’olive) et l’olivière qui qualifie une olive, mais qui semble venir du catalan où l’olivier peut être aussi du genre féminin (y-a-t’il eu mauvaise interprétation/adaptation ? Donc un point obscur à éclaircir linguistiquement).
Non, toutes ces considérations ne sont pas des poils de mouche… de l’olivier bien sûr ! Vous n’accepteriez pas que l’on vous donne du Denise en place de Denis, que l’on vous vende un poirier en place d’une poire. Vous ne parlez pas de l’autofertilité de l’orange et des pépins de l’oranger. Pour l’olivier, c’est exactement pareil… Les Occitans au courant de leur langue et de leur culture, les chercheurs en linguistique et ethnobotanique occitanes, n’admettent pas de voir traitées par dessus la jambe l’une et l’autre, voire ridiculisées par des emplois erronés à répétition de leur lexique et de leur grammaire, a fortiori dans un domaine qui les concerne au plus près : la culture de l’olivier exclusivement méditerranéenne, exclusivement nommée depuis des siècles en langue d’oc. Félicitations donc aux oléiculteurs qui ne commettent point ces erreurs (quelle que soit la graphie de la langue d’oc qu’ils utilisent), voire même qui font leur site d’accueil bilingue français-langue d’oc. Mais ceux qui affichent des huiles monovariétales devraient remplacer sur leurs étiquettes aglandau par aglandale, boutignan par boutignane, car jusqu’à preuve du contraire, c’est le jus de l’olive qu’ils vendent pour le plaisir de nos papilles et non le jus de l’olivier. Quant aux chercheurs, je n’ai trouvé aucun texte exempt de ces erreurs : tous sont du type « catalogue du pépiniériste surréaliste» cité plus haut, noms masculins et féminins allègrement mélangés aussi bien pour qualifier les olives que les oliviers.
Merci donc à tous de bien vouloir prendre conscience des erreurs linguistiques diffusées, de l’aspect totalement anti-scientifique qui en résulte et du préjudice culturel causé à l’olivier, qui a le droit, comme tout végétal, d’être nommé correctement. Le respect élémentaire est dû à une langue millénaire, que vous la parliez ou pas car c’est elle qui dit l’olivier (et non le français), en dehors du respect élémentaire de la grammaire en général, quelle que soit la langue. Car en français « un olivier salonenque, une olive aglandau » sont tout simplement des « monstres grammaticaux », comme « un olivier vieille, une poire juteux ». Je ne parle bien sûr ici que des noms occitans : les mêmes erreurs linguistiques doivent être commises sur les variétés espagnoles, corses, italiennes, grecques, citées dans les textes scientifiques. Il y a en effet des noms visiblement féminins pour qualifier des oliviers, alors que l’arbre est masculin dans la langue en question. Et toutes ces erreurs sont bien sûr diffusées à nouveau par Wikipédia, ce qui n’est certes pas une preuve. Ainsi la liste des moulins oléicoles département par département, qui m’a servi à trouver vos adresses, est suivie d’une liste des olives où l’on peut lire : « La Grossanne ou Groussan … » ; « La Salonenque ou Plant de Salon, Salounen, Salonen, Saurine» (!) pour ne donner que deux exemples. Il est assez alarmant qu’il ne vienne à l’idée de personne de se poser la question : « est-ce bien normal qu’un adjectif masculin (groussan, salounen) ou féminin (groussane, salonenque) puisse qualifier indifféremment une olive du genre féminin ? ». Et que personne n’ait l’idée d’attribuer spontanément la forme masculine à l’arbre et la forme féminine à l’olive. On peut aussi lire sur le site des oléiculteurs varois : « Le Cayon, petite olive douce noire (comparable à la niçoise), la Varagenque (Salonenque) en cassée verte, la Belgentieroise, très douce… ». « LA Varagenque, LA Belgentieroise »… mais « LE Cayon » pour UNE olive ?!… Ou encore sur le site de l’ACCOPA à « variétés d’olives »: « La Bouteillan, variété rustique, est surtout cultivée dans le Var ». Non, c’est le Bouteillan pour l’arbre et la Bouteillane pour l’olive … On touche du doigt les tragiques dégats collatéraux de la déculturation que provoque la perte d’une langue, laquelle génère chez les usagers une perte totale de sens (de simple bon sens) et de structure des mots utilisés. Or vous communiquez tous sur « l’authenticité de vos produits », « l’ancienneté de vos moulins », l’huile « produit culturel », voire vous restituez des poèmes en provençal sur l’olivier sur les sites des Chevaliers de l’olivier : n’est-ce pas totalement contradictoire avec le fait de ne pas/plus savoir nommer correctement olives et oliviers ?
À travers ce plaidoyer, vous aurez tous compris combien je suis passionnée d’olives et d’oliviers, et que les voir nommer à tort et à travers me peine énormément par tout ce que cela signifie en perte de culture des gens du pays. Si je pouvais vous avoir alertés pour que cela ne soit pas irrémédiable… J’encourage donc la diffusion de ce plaidoyer pour les noms authentiques respectueux de la langue d’oc et de sa grammaire à tous les oléiculteurs, coopératives, chercheurs sur l’olivier que je n’ai pas pu contacter, faute d’avoir trouvé leur adresse électronique, car il est grand temps d’arrêter le « massacre linguistique » de notre arbre. Il est déjà suffisamment malmené symboliquement en espaces publics avec sa désacralisation honteuse sur les carrefours, ou sa consommation comme simple élément de décor dans des pots violets ou roses posés n’importe où, dans les galeries marchandes ou les gares, et jetable à volonté (cf. mon ouvrage épuisé Des Arbres et des Hommes, Edisud, 1997), ou sa taille ridicule « en nuages, en tonsure, en porte-manteaux ». Vidé de sa symbolique, en passe d’être maintenant privé de ses noms millénaires manipulés n’importe comment « sans science ni conscience », … une prise de conscience collective s’impose justement et c’est la moindre des choses que l’on puisse tous faire en faveur de notre arbre sacré.
Bien entendu, vous pouvez me contacter pour des conseils linguistiques.
Cordialement.
Josiane Ubaud