Problématique
Même si l’oléiculture française est insuffisante, de loin, aux besoins des consommateurs français, néanmoins, elle fait vivre des oléiculteurs dont la majorité vise des produits d’excellence, des produits de haute qualité : huile, fruits de bouche, tapenades et pâtes d’olives, etc. Il existe une majorité de consommateurs sachant reconnaître les produits de qualité et disposés à payer le prix d’un travail orienté vers cet objectif. Or, pour atteindre ces objectifs, des olives, il faut des fleurs sur un olivier, celui que les scientifiques nomment Olea europaea europaea !
Des fleurs pour avoir des olives : une vérité si banale qu’elle ne devrait pas être énoncée ! On dit que c’est un truisme. Il est clair que certaines années la floraison semble très faible, d’autres il y a une floraison abondante. L’oléiculteur attend la fécondation de ses fleurs et la nouaison pour constater l’abondance ou l’absence de jeunes fruits. Et on constate qu’avoir des fleurs ne suffit pas. Les fruits sont ou ne sont pas au rendez-vous. Pourquoi ?
Un mystère entoure la production des fruits et les discussions n’en finissent pas sur les causes qui obèrent les récoltes, en excluant du présent propos l’évolution du fruit vers sa maturité. Le jeune fruit va grossir et subir les attaques plus ou moins fortes de parasites. Nous allons d’abord nous intéresser à la fleur et à la floraison.
Pour développer le sujet, nous avons fait un large emprunt aux travaux de l’équipe Nathalie Moutier, Pierre Villemur et Michel Calleja « De l’édification de l’arbre à la production des olives » publiés (pp. 131-153, avec bibliographie) dans l’ouvrage collectif « L’histoire l’olivier » coordonné par Catherine Breton et André Bervillé (Quae éditions, 2012, 224 p.). Nous avons également disposé du texte de l’article « Des secrets de l’olivier révélés », confidents Catherine Breton (Université de Montpellier) et André Bervillé (Ex DR INRA-Montpellier) document créé en 2020, non publié.
Du langage scientifique des auteurs, il convient de tirer pour nos lecteurs des informations accessibles aux oléiculteurs de terrain qui ne sont pas des scientifiques de haut niveau mais des praticiens de terrain blanchis sous notre soleil. Entrons dans les mystères de l’olivier.
1 Comment vient un bourgeon à fleur ?
Le bourgeon terminal d’un rameau doit fonctionner.
1.1 Le bourgeon constructeur
À l’extrémité d’un rameau se trouve un bourgeon qualifié de constructeur. C’est un bourgeon nu, sans écailles, caractéristique de nombreuses espèces végétales subtropicales. Cette zone va allonger le rameau en produisant des branches et des feuilles, après le repos hivernal. La croissance redémarre en mars-avril produisant une pousse ou rameau de l’année.
1.2 Le rameau de l’année
Le rameau de l’année se construit par un allongement produisant une succession d’entre-nœuds. À chaque entre-nœud se trouve une paire de feuilles disposées face à face, on dit opposées. Un nœud est décalé de 90° par rapport au suivant, les paires de feuilles sont dites décussées. À l’aisselle du pédoncule de la feuille sur le nœud, il y a un bourgeon dit axillaire avec quatre ébauches foliaires. Il y a en-dessous du bourgeon axillaire, un bourgeon supplémentaire minuscule, proche du rameau, protégé pas deux ébauches de feuilles.
La disposition des feuilles sur le rameau est appelée phyllotaxie. On dit que la phyllotaxie de l’olivier est d’ordre 2. Cette phyllotaxie commence dans le bourgeon terminal qui contient toutes les ébauches de feuilles. On imagine, que du sommet de la tige en allant vers le bas, les bourgeons sont disposés sur deux spirales parallèles.
Comment se voit le passage du rameau de l’année à celui de l’année suivante ? C’est par la taille des entre-nœuds qui sont plus courts, des feuilles plus petites et des bourgeons de teinte plus claire au printemps. Pendant cette saison, les feuilles ont une expansion rapide, atteignant leur taille maximale en deux semaines.
Cette connaissance de la phyllotaxie et de la différence de rameaux est primordiale pour l’oléiculteur dans la conduite de son oliveraie. En effet, les bourgeons vont évoluer de manière différente et l’oléiculteur doit savoir comment les distinguer. Une bonne taille, la réussite des greffes, … en dépendent.
1.3 L’évolution des différents bourgeons vers la fleur
À l’aisselle du pétiole de la fleur se trouve un complexe de deux bourgeons (figure ci-contre) :
- le bourgeon axillaire,
- le bourgeon surnuméraire.
1.3.1 Le bourgeon axillaire
Ce bourgeon ne se développe pas la première année. Il peut suivre quatre développements différents :
- rester dormant (on dit encore latent), au repos jusqu’à ce qu’il tombe avec la feuille et son pétiole ;
- produire un rameau latéral l’année suivante (on le qualifie de bourgeon végétatif) ;
- produire une grappe de fleurs, une inflorescence (on le qualifie de bourgeon florifère) ;
- manifester une croissance immédiate donnant un rameau anticipé (ainsi nommé par les arboriculteurs).
Le rameau anticipé donne un premier entre-nœud très long.
1.3.2 Les bourgeons surnuméraires
Ces bourgeons restent le plus souvent dormants jusqu’à la troisième année où ils donnent des rameaux surnuméraires, assurant ainsi le renouvellement des ramifications. À la base de tels rameaux, on observe deux premiers bourgeons formés, minuscules, opposés et perpendiculaires à l’axe du rameau surnuméraire.
Nous allons nous intéresser aux bourgeons à fleurs et à la fleur.
2 La fleur de l’olivier et la floribondité
La fleur de l’olivier provient de la métamorphose du bourgeon florifère.
2.1 Métamorphose du bourgeon florifère
Juste après la formation du rameau de l’année, commence le cycle de reproduction de l’olivier. Les bourgeons florifères vont donner, l’année suivante, des inflorescences, les grappes de fleurs appelées panicules. Le phénomène est appelé induction florale, il commence en juillet, soit au début de l’été, l’année même de la formation des bourgeons axillaires dont ils vont dériver. Au début de l’automne, avec les premiers froids, commence l’initiation florale qui va se poursuivre la 2e année jusqu’en février. Les fleurs vont donc apparaître sur le rameau de 2e année.
2.2 La fleur de l’olivier
Dans le bourgeon de la fleur, le point végétatif s’élargit, l’axe de l’inflorescence se forme, s’allonge et porte les premières ébauches de fleurs. En avril, les jeunes inflorescences s’accroissent et la floraison éclate de mai à juin. Mais, la température peut jouer.
2.3 Influence du froid ou vernalisation
Normalement, le froid agit de manière prépondérante, c’est la vernalisation qui confère à l’arbre l’aptitude à fleurir (processus étudié dans les années 1950 à 1960). Cependant, des températures trop douces peuvent renverser le processus et l’interrompre. Les hivers trop doux de certaines zones oléicole (fin décembre par exemple) peuvent occasionner des floraisons erratiques, anormales (sud-ouest de l’Iran, au Khuzestan).
2.4 L’inflorescence et la fleur
2.4.1 L’inflorescence
L’inflorescence est un panicule (une grappe de grappes). Les panicules sont portés en position latérale sur les rameaux d’un an mais il y a des exceptions selon les variétés d’oliviers. Des panicules peuvent être portés en position terminale sur des rameaux cours comme chez le picholinier et le bouteillan.
2.4.2 La fleur hermaphrodite
La fleur de l’olivier est petite, elle mesure de 3 à 6 mm. La phyllotaxie d’ordre 2 joue. Elle a :
- quatre sépales en deux cercles (2×2), minuscules feuilles à la base de la fleur, soudés pour former un calice persistant ;
- quatre pétales blancs, au-dessus des sépales, soudés à leur base au calice ;
- deux étamines (les organes reproducteurs mâles) constitués d’une courte tigelle (le filet) portant chacune deux sacs à pollen (deux par étamine) ; les filets sont soudés sur la base des pétales ;
- au centre de la fleur, sous la base des pétales, on trouve un pistil, l’organe reproducteur femelle constitué par un stigmate porté par un court style inséré au sommet d’un ovaire.
Cette fleur complète est dite hermaphrodite car elle porte les deux organes reproducteurs, l’organe mâle (étamines) et l’organe femelle (pistil).
La présence simultanée des deux « sexes » laisse penser que l’olivier s’auto-féconde dans sa fleur. Nous verrons que cette autofécondation est contrariée par des mécanismes biologiques qui évitent la consanguinité.
Une singularité : il y a des fleurs incomplètes qui n’ont pas l’organe reproducteur femelle, dites femelles stériles et ne produisent que du pollen. Pourquoi ? Ces fleurs sont qualifiées de staminées (fleurs à étamines). Lors du développement du bourgeon floral, le développement du pistil avorte. Cet avortement peut être plus ou moins important au cours de la croissance de l’inflorescence en avril. Le stress hydrique jouerait un rôle dans ce phénomène. Sont aussi présentes des fleurs dont les étamines ont avorté, le style est présent mais ces fleurs ne donnent pas de fruit.
2.4.3 Des variétés sans pollen
L’olivier produit donc beaucoup de pollen mais là aussi il y a des exceptions. Des variètés agronomiques (l’Olivièral ou olivier à olives Olivières, le Lucquier ou olivier à olives Lucques) ne libèrent pas du pollen fonctionnel lors de l’ouverture des sacs polliniques (l’anthèse ou ouverture des sacs à maturité). On dit que ces variétés sont mâles stériles. Le processus de pollinisation exige l’apport d’un pollen fonctionnel d’une autre variété. Il ne peut y avoir d’auto-fécondation chez ces variétés.
3 Les caractéristiques de la floraison
L’olivier est certes un arbre fruitier mais différent de ceux qui font partie des vergers à Rosacées (pommiers, poiriers, etc.). Ces fruitiers fleurissent sur le bois de deux ans et plus. Ce n’est pas le cas de l’olivier qui appartient à la famille des Oléacées. L’olivier produit un nombre important de fleurs mais cette floribondité est pondérée par la fertilité inégale des fleurs (complètes ou staminées). C’est une caractéristique qui varie selon les variétés agronomiques de l’olivier.
3.1 La proportion des fleurs
Les fleurs staminées ont leur utilité : la pollinisation globale de l’olivier. Leur proportion est donnée par les auteurs dont nous nous inspirons (étude sur 3 ans d’observations sur la partie moyenne des rameaux d’un an, tableau ci-dessous, chiffres arrondis).
Variété | Nbe. moyen de fleurs / inflorescence | Nbe. moyen de fleurs hermaphrodites | % de fleurs hermaphrodites | Nbe. moyen de fleurs staminées | % de leurs staminées |
Picholinier | 23 | 16 | 73 | 7 | 27 |
Tanche | 16 | 11 | 71 | 5 | 29 |
Aglandau | 17 | 11 | 66 | 6 | 34 |
Bouteillan | 24 | 11 | 44 | 13 | 56 |
Oliviéral * | 20 | 7 | 36 | 13 | 64 |
Verdalet 34 | 19 | 6 | 36 | 12 | 64 |
Lucal * | 22 | 3 | 12 | 19 | 87 |
* mâles stériles. Olivièral ex Olivière, Lucal ex Lucquier.
Ce tableau « montre que, entre variétés, le nombre de fleurs par inflorescence après à donner des fruits est très variable, et qu’il faudra donc standardiser le nombre de fruits / 100 fleurs hermaphrodites » (André Bervillé 25 février 2022).
3.2 Le voyage du pollen d’olivier
Le pollen de l’olivier est formé très rapidement dans les sacs polliniques des étamines. Le processus débute 30 à 40 jours avant la floraison, marquée par l‘apparition des pétales. Le grain de pollen est produit en quantité : de l’ordre de 2 à 4 millions par inflorescence chez les variétés à fruit d’olive de table et atteint 8 millions chez les variétés à huile. Le grain de pollen est léger, il est transporté par le vent sur de très longues distances. Les insectes ne jouent aucun rôle dans la pollinisation mais viennent se nourrir du pollen d’olivier.
Des observatoires munis de capteurs ou pièges à pollen (site de Bel-Air à Montpellier) ont capté des pollens venus d’Algérie. Mais étaient-ils utiles, c’est-à-dire capables de féconder une fleur d’olivier ? La durée de vie du grain de pollen n’est pas connue avec certitude. La question principale est bien : combien de temps et sur quelle distance conserve-t-il sa capacité à féconder un ovule : il n’y a pas de réponse expérimentale (André Bervillé et Catherine Breton).
3.3 La météo, rôle
La météo, par contre, joue un rôle important. Les périodes de forte chaleur, de froid, de brouillard et de pluies sont contraires à une bonne pollinisation. La forte insolation et la richesse en rayons ultra-violets peut intervenir défavorablement. Mais la partie vivante du grain de pollen est protégée par une coque relativement épaisse. On ne sait pas si la coque se vide au bout de combien de temps.
4 L’atterrissage du grain de pollen
La question est de savoir où va atterrir ce grain de pollen voyageur.
4.1 Le style de l’ovaire, terrain d’atterrissage
La cible naturelle d’un grain de pollen est la surface du stigmate du style surmontant l’ovaire. Une surface minuscule hérissée de « plumes » accueillantes, humides. Là, le grain plus ou moins desséché s’hydrate et peut germer. Le grain va développer un tube pollinique qui va pénétrer les tissus du stigmate puis du style, dans un trajet qui va conduire ce tube vers l’ovaire et ses ovules. C’est un tissu spécial qui va guider le tube pollinique. À l’extrémité de ce tube sont produits deux gamètes mâles. Le grain de pollen est un porteur de gamètes, de cellules reproductrices, on dit un gamétophyte. On dit aussi que la plante qui fabrique le pollen et porte les ovules est un sporophyte. L’olivier porte sur le même plant les deux gamétophytes (pollen et ovaires) : c’est une plante monoïque. Par opposition, des espèces végétales portant les fleurs mâles et les fleurs femelles sur des plants différents, sont appelés espèces dioïques.
Attention, la durée de vie de la qualité de l’accueil du stigmate (la réceptivité) est limitée à 8 ou 10 jours (Picholinier) mais elle est de 2 à 3 jours (Lucquier). Chez ce dernier cultivar, des pistils dûment fécondés avortent (jusqu’à 80%). L’aptitude à la fécondation de ce cultivar est faible.
4.2 L’autofécondation chez l’olivier
La question qui se pose pour les cultivars mâles stériles est la nécessité d’un apport de pollen d’un cultivar donneur mâle fertile. Par contre, on serait tenté de croire que les cultivars dont les fleurs complètes disposent côte à côte, à quelques dixièmes de millimètres du sac à pollen donneur surplombant le stigmate récepteur s’autofécondent ?
Les expérimentations et les observations conduisent à la même conclusion :
- l’autofécondation est exceptionnelle et donne parfois des fruits mal développés (millerandage), de plus le niveau de fruits n’est que de 30 à 40%, ce qu’il est avec un bon polliniseur (le donneur de pollen) ;
- la fécondation croisée est la règle.
Il existe des mécanismes chez les végétaux qui empêchent l’autofécondation et favorisent la fécondation croisée. Ces mécanismes sont de plusieurs ordres :
- mécanisme d’ordre physique (longueur du pistil dépassant les étamines ou l’inverse),
- différences dans le temps entre la maturation des organes mâles et femelles,
- dispositifs biologiques d’incompatibilité entre le style et le tube pollinique ; le style fait avorter la croissance du tube pollinique qui ne progresse plus vers les ovules de l’ovaire.
Le dernier cas est celui de l’olivier. Il existe des facteurs d’incompatibilité qui empêchent l’autofécondation ou la fécondation croisée avec un cultivar non-compatible. Ce point fera l’objet d’un article séparé qui détaillera ce facteur. Nous le nommerons compatibilité biochimique.
Ce n’est pas le seul facteur qui intervient dans la réussite de la fécondation croisée.
4.3 Le bon partenaire
On connaît des partenaires dont la compatibilité biochimique est parfaite. Il faut que le donneur de pollen fleurisse et émette son abondant pollen au bon moment : le moment où le stigmate du pistil est accueillant. Pierre Villemur et ses acolytes ont donné un diagramme des périodes comparées étudiées à Montpellier-SupAgro de 1976 à 1982. La référence est faite par rapport à la période de floraison du Picholinier. (figure ci-contre)
5 En conclusion
Nous empruntons à C. Breton et A. Bervillé et ces affirmations en guise de conclusion. « Le rôle du sporophyte (pollen et tube pollinique) est de transférer le noyau de la cellule reproductrice mâle (anthérozoïde) là où il fusionnera avec la cellule reproductrice femelle (ovule) du sac embryonnaire pour donner le futur embryon. ». C’est la germination de cet embryon qui donnera un nouvel olivier.
On sait que chez les végétaux l’autre anthérozoïde va fusionner avec une cellule diploïde polaire du sac embryonnaire pour donner l’albumen. Chez les végétaux supérieurs et les plantes à fleurs, cet albumen est un tissu de réserve destiné au développement de l’embryon lors de la germination de la graine. Chez l’olivier l’albumen donne un tissu de réserve solide dans le noyau du fruit. Le producteur d’huile est intéressé par le devenir des tissus de l’amandon du noyau broyé avec l’ensemble du fruit. La qualité des huiles en dépend.
La fécondation par un pollen, qu’il soit auto-pollen ou allo-pollen est un gage d’une récolte abondante. Mais, il nous reste à examiner les facteurs d’incompatibilité, ce qui sera fait dans un autre article.
Raymond GIMILIO
Diplômé d’études supérieures de botanique
Docteur en sciences biologiques mention ecologie
Majoral et vice-Président de la Confrérie des Chevaliers de l’Olivier
Merci à André Bervillé pour sa relecture, ses corrections et l’autorisation de publier les illustrations.
Merci pour la publication de l article